CHAPITRE VII

Marie ne voulut pas reconnaître sa soeur dans la forme sanglante qui gisait à ses pieds. Elle restait sans force, le cerveau vide, respirant à peine. La lumière blafarde de la lampe faisait ressortir les éclaboussures rouges qui maculaient Jeanne, du visage aux mollets.

—Jeanne !

Marie avait hurlé. Surmontant sa crise, elle dévala le perron, empoigna sa soeur par les épaules.

—Jeanne... Ma petite Jeanne...

Elle pleurait, appelait sa cadette en haletant. Jeanne était épouvantablement lourde entre ses mains, mais un léger souffle s'exhalait de ses lèvres. Dieu soit loué, elle n'était pas morte !

—Jeanne, parle-moi ! Je t'en prie !

Mais la jeune fille ne réagissait pas. Les dents serrées, Marie se redressa, sa sœur dans les bras. Puis elle gravit les marches du perron, faisant montre d'une force qu'elle ne se connaissait pas, rentra dans le château, porta Jeanne jusque sur la cathèdre. Enfin, elle se précipita pour refermer à double tour et allumer la lumière, avant de revenir vers sa cadette.

Jeanne était horrible à voir. De longues zébrures de sang coagulé marquaient son corps et poissaient ses cheveux. Marie découvrit avec stupeur que le sang, sur son ventre, était étalé de façon à représenter grossièrement un visage, avec des yeux et une bouche grimaçante, démoniaque.

Ce visage la regardait, et Marie comprit, épouvantée qu'il était réel.

Elle recula, le souffle rauque, incapable de détacher les yeux des traces hideuses sur le corps nu de sa soeur. Il lui fallait toute sa volonté, toute sa force, pour ne pas se mettre à hurler.

Au lieu de cela, elle se rua vers le téléphone et composa le numéro du docteur Belot. On décrocha à la cinquième sonnerie.

—Docteur, c'est Marie de Roche ! cria la jeune femme. Ma soeur a eu un accident ! Elle est couverte de sang!

—J'arrive tout de suite, répondit simplement le praticien.

Marie raccrocha. Elle tremblait comme une feuille.

Elle ne voulait pas abandonner Jeanne une seule seconde mais prit tout de même le temps d'aller dans sa chambre enfiler un long sweat-shirt puis dans la salle de bain, où elle emplit d'eau chaude une cuvette et.prit une serviette propre. Enfin, elle revint auprès de Jeanne.

Celle-ci n'avait pas repris conscience. Marie avala sa salive puis entreprit, la main légère, de nettoyer une traînée brune qu'elle portait au front.

A sa grande stupeur, cela ne révéla aucune plaie. Elle lava une seconde tache de sang, sur la joue. Là aussi, l'épiderme était intact. Elle poussa un soupir de soulagement et continua plus franchement la toilette de sa soeur.

Ce fut en passant aux cuisses qu'elle découvrit des taches sans équivoque. Elle resta bouche bée.

Jeanne avait fait l'amour.

Instinctivement, elle se troussa, passa un doigt le long de son sexe.

Elle avait aussi fait l'amour. Son rêve... « Rêve »...

A qui Jeanne avait-elle « rêvé »?

Elle entendit le crissement des pneus de la voiture du docteur Belot et se rajusta précipitamment avant d'aller ouvrir. Le médecin semblait un peu égaré. Il la salua d'un bref hochement de tête, vit Jeanne sur la cathèdre, s'avança et, sans rien dire, s'agenouilla auprès d'elle, lui saisissant le poignet.

—Elle... elle avait du sang partout, murmura Marie d'une voix étranglée. J'ai commencé à la laver. Mais il n'y a pas de plaie...

L'arrivant ne répondit pas. Il ouvrit sa mallette, en tira un stéthoscope et un tensiomètre. Marie retint les paroles qui se bousculaient dans sa gorge, attendant que Belot ait achevé son examen.

Un examen méticuleux, qui dura longtemps. Le praticien essuya lui-même les zébrures sanglantes qui ornaient encore les jambes de Jeanne. Marie détourna la tête, les joues en feu, quand il en arriva aux cuisses.

—Vous devriez aller vous faire un peu de café, Marie, observa le médecin. Vous avez reçu un choc...

Pendant que vous y êtes, allez aussi chercher une couverture. Nous n'allons pas la laisser comme ça en attendant le S.A.M.U.

—Vous... vous la faites hospitaliser?

—Allez faire votre café!

Marie obéit, puis ramena de quoi couvrir Jeanne.

Belot testait les réflexes de la jeune fille, examinait ses yeux.

—Je dois téléphoner, dit-il enfin. Restez auprès d'elle.

Il s'éloigna, le visage fermé. Marie regarda sa soeur, des larmes coulant sur ses joues. Elle se pencha et déposa un baiser sur la joue de sa cadette.

—Ne meurs pas, ma chérie, murmura-t-elle. Je t'en prie... Ne me laisse pas tomber...

Elle se redressa quand Belot revint.

—Qu'est-ce qu'elle a, docteur? demanda-t-elle.

Le praticien se frotta le menton, jeta un coup d'oeil perplexe à Jeanne, toujours immobile, puis la regarda, elle, en face.

—Je dirais qu'elle n'a rien... physiquement. Absolument rien.

—Mais...

—Elle est en état de choc... Ou plus exactement dans un état d'inconscience profond. Elle ne réagit à aucun stimulus.

—Elle est dans le coma?

—Pas exactement... C'est assez étrange. C'est pour ça que je veux la faire hospitaliser. Il faut lui faire des examens approfondis.

—Mais quand est-ce qu'elle va se réveiller?

—Ça... je ne peux pas vous le dire. Bientôt, sans doute.

Marie sentait son affolement revenir.

—Et ce sang?

Belot s'assombrit.

—Je ne peux rien vous en dire. (Il montra la serviette ensanglantée). Ne mettez pas ce linge au sale. La police voudra sans doute le faire analyser.

—La police! Mais...

—J'ai prévenu la brigade de gendarmerie... C'est mon devoir, Marie. Il s'est passé quelque chose. Ce sang vient de quelque part.,.. (« De quelqu'un... ») Qu'avezvous, Marie?

La voix avait résonné dans le cerveau de la jeune fille, tel un éclat de rire satanique, et elle avait chancelé.

Belot la soutint par le bras.

—Je... je crois que... je suis en train de craquer, dit-elle d'une voix pitoyable.

Il la fit asseoir sur une chaise.

—Vous avez besoin d'un bon remontant. Je vais vous faire une ordonnance. Mais surtout, vous devriez vous reposer. Je sais quelle vie vous menez...

Marie secoua l'engourdissement qui la gagnait.

—Comment le pourrais-je? Il faut que je m'occupe de grand-mère...

—Sans votre soeur, comment pourrez-vous? Marie, pour un temps au moins, vous devriez faire admettre votre grand-mère à la maison de retraite des Bleuets. Si vous le désirez, tout à l'heure, je passerai un coup de téléphone à son directeur.

Marie ne répondit pas. Belot lui posa la main sur l'épaule.

—Allez vous habiller. Je reste là en attendant le S.A.M.U.

Marie n'avait pas envie de quitter sa soeur, mais elle obéit.

Elle fit une rapide toilette, enfila un jean et un vieux pull. Elle achevait de se peigner quand elle entendit le bruit d'un moteur dans l'allée. Elle ressortit en coup de vent.

—C'est le S.A.M.U., annonça Belot en ouvrant la porte du château. Ils n'ont pas mis longtemps.

Jeanne fut rapidement évacuée, non sans que l'interne de service, après examen, l'ait trouvée dans le même état cataleptique que le docteur Belot.

—J'irai à l'hôpital un peu plus tard, dit Marie au praticien. Pour vos honoraires...

—Nous en reparlerons. Je veux que vous me teniez au courant et... surtout, ne commettez pas d'imprudence.

Marie ne répliqua pas. La BX du médecin s'éloigna...

et croisa, sur l'allée, le break de la gendarmerie. Le capitaine Auclair en personne en descendit, la moustache et le regard encore plus sévères que la veille. Il la salua, tandis qu'un de ses hommes restait en arrière et que deux autres faisaient le tour du manoir.

—Alors, mademoiselle de RocheLalheue, attaqua l'officier, qu'est-ce qui s'est passé?

Marie commença son récit, consciente de l'importance de chaque mot qu'elle prononçait. Rien n'échappait à Auclair. Tout serait analysé. Et elle ne pouvait tout de même pas lui dire la vérité. Elle se retrouverait à l'asile !

Quand elle se tut, l'officier réfléchit longuement, faisant tourner son képi entre ses mains.

—Pourquoi votre sœur est-elle sortie du manoir, demanda-t-il enfin, alors que nous vous avions formellement mises en garde toutes les deux?

Marie n'avait bien sûr pas mentionné sa transe, son étreinte onirique ( ?) avec Bastide, ni le fait qu'elle s'était réveillée dans la chambre de grand-mère, prête à assommer la vieille dame.

—Je dormais, répondit-elle. Je ne sais pas. Mais, autrefois, Jeanne a souffert de crises de somnambulisme. Le docteur Belot pourra vous le confirmer. Il est possible qu'elle en ait été à nouveau victime. D'ailleurs...

—D'ailleurs? grogna Auclair.

—J'en ai fait aussi. Nous... nous avons eu une enfance assez perturbée.

—Mmh... et comment se fait-il que vous soyez allée à la porte? Vous avez l'habitude d'ouvrir en pleine nuit?

—Non... Je... je crois que j'ai eu une sorte... d'intuition. Je me suis réveillée, et... c'était comme si Jeanne m'appelait.

—Vous êtes bien certaine qu'elle ne vous a pas appelée pour de bon? intervint l'autre gendarme.

—C'est possible. Mais en tout cas, une fois réveillée, je ne l'ai plus entendue. Je suis allée voir chez elle. Son lit était froid. Alors j'ai ouvert... Elle était en bas du perron... nue... couverte de sang.

Auclair hochait pensivement la tête, tout en fixant Marie avec des yeux perçants.

—Parlez-nous un peu de ces marques...

Marie s'efforça de décrire les hideuses zébrures qui avaient marbré le corps de sa soeur. Le capitaine s'intéressa particulièrement à celles du ventre, en forme de visage de démon.

—Excusez-moi d'insister sur un détail si scabreux, mais savez-vous si votre sœur fréquentait certains milieux... spéciaux?

—Des milieux sadomasos, vous voulez dire? Vous pouvez prononcer le mot. Je ne suis pas ignorante !

La sécheresse du ton déconcerta visiblement Auclair.

—Eh bien... oui, ces milieux-là.

—Pour répondre à votre question, c'est non. Jeanne a eu des aventures, mais...

Elle s'interrompit brusquement. Les deux gendarmes froncèrent les sourcils.

—Vous venez de penser à quelque chose ! s'écria Auclair.

—Oui... en effet. (Marie hésita, puis décida de sauter le pas.) Hier, Jeanne était avec un garçon... et ça ne s'est pas très bien passé.

—Que voulez-vous dire?

—C'est gênant...

—Je vous en prie ! Ce n'est pas le moment de vous sentir gênée !

Marie sentait ses joues brûler. C'est les yeux rivés sur le plancher qu'elle raconta ce que lui avait rapporté Jeanne. Quand elle se tut, ses deux interlocuteurs échangèrent un regard.

—Votre sœur a été violée et c'est maintenant que vous nous le dites ! explosa Auclair. Est-ce que vous vous rendez compte de votre inconscience, mademoiselle de Marie n'était pas très fière d'elle. Fred n'était sûrement pour rien dans ce qui venait de se passer, mais il fallait à tout prix qu'elle égare les soupçons du capitaine.

Et puis c'était un salaud. Ça ne lui ferait pas de mal que les flics le passent un peu sur le gril !

—Jeanne m'avait fait jurer de ne rien dire, balbutiat-elle. Elle avait honte. Vous savez bien... C'est toujours la femme qui aguiche. Et Jeanne n'a pas très bonne réputation...

—Bon, bon... Autre chose : d'après ce que nous a dit au téléphone le docteur Belot — mais nous allons l'interroger pour avoir plus de détails — le sang sur votre soeur n'était peut-être pas son propre sang. Avezvous conservé la serviette...

—Oui, coupa nerveusement Marie. Là...

Elle montrait la serviette, roulée en boule à côté de la cathèdre. Le collègue d'Auclair s'en saisit précautionneusement.

—Avezvous une idée de la provenance de ce sang?

—Non, je ne sais pas ! Et je ne veux pas savoir !

Pour la première fois, Auclair parut s'humaniser. Il prit la main de Marie et la tapota.

—Calmez-vous, mademoiselle. Je comprends que tout cela vous soit pénible. Mais je voudrais que mon enquête aboutisse le plus rapidement possible... Pouvezvous me révéler le nom du garçon qui a violé votre soeur?

—Je ne connais que son prénom. Il s'appelle Fred. Et il a une Alfa Romeo rouge.

—Bien... Je suppose que vous désirez vous rendre au chevet de votre soeur?

—Oui... Mais auparavant, je dois aller chercher Martine Chanut. Vous l'avez rencontrée hier. C'est la femme de notre métayer. Ils vivent dans la ferme, avant le domaine. C'est elle qui s'occupe de grand-mère quand Jeanne et moi sommes au travail. En principe, elle arrive un peu plus tard, mais je vais...

—Je vous accompagne... Avec ce fou qui est peutêtre en train de rôder... J'en profiterai pour lui poser quelques questions.

Auclair consulta rapidement ses subordonnés, lesquels examinaient le perron, l'esplanade et la pelouse.

Le jour était à présent complètement levé, et Marie s'étonna que l'aïeule ne l'ait pas déjà appelée.

Auclair lui ouvrit galamment la portière, s'installa au volant puis démarra en douceur.

—Les Chanut ont un fils handicapé, je crois, observa-t-il.

—Oui, Nicolas... Autrefois, on aurait dit de lui que c'est un arriéré mental. Il est parfois un peu nerveux, mais il ne ferait pas de mal à une mouche.

Auclair roulait lentement.

—Ces marques sanglantes sur le corps de votre soeur me font penser à un rituel, déclara-t-il soudain. Et plus encore la tête de démon sur son ventre. Pourriez-vous essayer de la dessiner?

Marie acquiesça distraitement. Elle n'aurait pas un gros effort à faire. Le masque hideux demeurait très net dans son esprit.

Ils arrivèrent devant la ferme. Marie fronça les sourcils.

—C'est curieux, marmonna-t-elle. Les volets de la cuisine sont fermés.

—Et alors?

—A cette heure, normalement, Martine les a déjà ouverts et il y a de la lumière. Je le sais, je passe toujours par là quand je vais chercher le pain au village...

Il y eut un silence. Marie et le capitaine Auclair se consultèrent du regard, puis le gendarme ouvrit sa portière et sortit de la 504. Marie le vit poser une main sur l'étui de son pistolet réglementaire et son cœur rata un battement. Elle descendit à son tour.

—Restez derrière moi, ordonna l'officier.

Il poussa la grille du jardin et ils s'avancèrent vers la ferme.

—Là! cria tout à coup Marie.

Elle montrait des traces de pieds nus, dans la terre encore humide des pluies de la veille. Ils se penchèrent.

Les traces étaient petites et fines. Des pieds de femme.

—Veillez à ne pas les effacer, dit Auclair.

Marie claquait des dents.

—Mon Dieu, implora-t-elle, faites que ça ne soit pas vrai...

Le capitaine la prit par le bras, serra fort.

—Ne paniquez pas, mademoiselle de RocheLalheue. Il faut aller voir. Venez !

Ils arrivèrent devant la porte de la ferme.

—C'est ouvert, observa Auclair d'un ton sec.

Il dégaina son arme et fit sauter du pouce ce que Marie devina être le cran de sûreté. Ils entrèrent.

Un silence sépulcral régnait dans la maison. Marie était souvent venue chez Martine. Elle reconnaissait l'odeur d'encaustique, de soupe aux légumes et de vache qui y régnait habituellement. Elle reconnaissait les vieux meubles, les chromos aux murs, le tic-tac de l'horloge comtoise.

Le lieu où elle avait été transportée, lors de sa transe.

Son sang reflua dans ses veines. La jeune fille dut se mordre les lèvres pour ne pas crier. Auclair lui tournait le dos, aussi ne s'en aperçut-il pas.

—Où se trouvent les chambres? questionna-t-il.

—En... haut de l'escalier.

—Allons voir.

Ils montèrent lentement les marches. Marie savait qu'elle revivait sa transe. Elle savait ce qu'elle découvrirait en haut de la dernière marche, derrière la porte. Elle avait envie de hurler au capitaine de ne pas aller plus loin, de faire demi-tour, de fuir cette maison maudite.

Mais, fascinée par l'inexorable, elle grimpait les degrés grinçants, collée à l'uniforme bleu du gendarme.

Ils atteignirent le palier.

La flaque de sang était là, sourdant dessous la porte.

Auclair proféra un juron entre ses dents, se retourna.

— Restez ici !

Il s'avança, contournant soigneusement la flaque et, tel un policier de film américain, ouvrit brutalement la porte, l'arme pointée.

Malgré son ordre, Marie l'avait suivi. Elle vit. Et son hurlement résonna, strident, interminable, avant qu'elle ne s'effondre, inconsciente.

Elle avait vu. La brusque conjonction entre le cauchemar et la réalité. Sa transe...

Fabien Chanut tournait lentement sur lui-même, pendu au lustre, le visage violet, la langue à demi hors de la bouche. Le bas de son corps était dénudé, une aiguille à tricoter enfoncée dans son pénis flasque, un tisonnier dans son fondement.

Martine... Ce qui restait de Martine... Des lambeaux de chair disposés tout autour du lit, les entrailles pareilles à des festons accrochés aux rideaux et aux meubles... La tête, posée sur un coussin, et dont les traits figés trahissaient la plus abjecte épouvante...

Nicolas... assis au milieu du charnier, jouant à se barbouiller de sang et les regardant avec un large sourire auquel manquaient les deux incisives du devant...

Marie revint à elle pour se découvrir allongée sur un divan. Il lui fallut un moment pour réaliser qu'elle se trouvait dans une autre chambre. Le capitaine Auclair penchait sur elle un visage blême. Il avança un verre en direction de sa bouche.

— Buvez. Ça vous fera du bien.

Elle obéit, passive. L'alcool explosa dans son estomac vide, lui arrachant un hoquet. Elle se détourna. Une nausée la secoua tout entière, mais elle ne parvint pas à vomir. Elle aurait voulu pleurer. Elle ne le pouvait pas.

Il n'y avait en elle que de la haine. Une haine qui ne s'exprimait pas en cris de rage mais qui la consumait.

—Comment vous sentez-vous? demanda Auclair.

—Comme quelqu'un qui a vu sa soeur agressée, sa gouvernante coupée en petits morceaux, et un homme pendu avec un tisonnier dans le cul et une aiguille dans les couilles! Et vous, comment vous sentez-vous?

L'officier cilla devant cet accès de fureur.

—Je vais vous laisser un instant, dit-il. Il faut que j'appelle par radio...

Marie se leva d'un élan.

—Je ne resterai pas une seconde de plus dans cette maison !

—Je comprends. Vous pouvez marcher?

—Et même courir !

Ils sortirent. Marie bouillonnait, mais elle se domina, écoutant Auclair alerter ses hommes, distribuer des ordres.

—Où est Nicolas Chanut? demanda-t-elle.

—Il... il est resté en haut. Je crois qu'il ne se rend même pas compte de ce qui s'est passé... (Le gendarme s'approcha d'elle.) Qu'est-ce qui s'est passé, mademoiselle de RocheLalheue ?

Marie bondit.

—Comment voulez-vous que je le sache !

—Je crois, mademoiselle, que vous en savez beaucoup plus que vous ne voulez bien le dire...

Cette réponse la calma aussi bien qu'une douche froide.

—Ce que je sais, capitaine, rétorqua-t-elle sèchement, c'est que ce n'est pas Jeanne qui a fait ça! Ni moi!

—Il est pourtant probable que votre soeur est venue ici. L'analyse des traces de pas le prouvera aisément...

—Mais comment aurait-elle pu... pendre Fabien au lustre?

Marie criait à nouveau. Auclair tenta en vain de la calmer.

—Fabien pesait près de cent kilos ! Vous avez vu ma soeur! Vous croyez qu'elle aurait pu le soulever à bout de bras et... (Elle eut un sanglot nerveux.) Il faut que je retourne au château... Je dois aller voir Jeanne... Et je ne peux pas laisser grand-mère toute seule... Comment vais-je faire?

—Vous n'avez pas d'autre famille? Quelqu'un qui pourrait s'occuper d'elle?

—Non... Elle a un caractère très difficile. Le docteur Belot va essayer de la faire admettre à la maison de retraite des Bleuets, mais...

Auclair la fit asseoir dans la fourgonnette, et ils reprirent le chemin du manoir.

—Et Nicolas? demanda Marie. Qu'est-ce qu'il va lui arriver?

Auclair eut une moue.

—Je vais tenter de l'interroger, mais saura-t-il répondre? Pourtant, il ne peut pas ne pas avoir vu...

celui qui a fait le coup. (« Ou celle... ›>) Ensuite, il sera sûrement interné.

—En attendant, qu'il vienne au château, décida Marie.

Auclair lui jeta un coup d'oeil étonné.

—Etes-vous sûre de vouloir aussi vous charger de lui?

—Martine s'est occupée de nous lorsque notre mère est morte. Je lui dois bien de m'occuper de son fils. Il est incapable de subvenir à ses besoins... Alors... (Sa voix se brisa.) Jusqu'à ce qu'il aille à l'asile.

Le manoir était en vue.

—Il faudra que je vous interroge à nouveau, mademoiselle de RocheLalheue, observa le capitaine. Il faudra également que j'interroge votre soeur, une fois qu'elle aura repris conscience...

—Tout ce que je vous demande, c'est d'arrêter celui qui a fait ce... cette boucherie, et de lui vider votre chargeur dans les tripes ! Ça me fera bien plaisir!Le gendarme posa pour la seconde fois sa main sur celle de Marie.

—Essayez de vous calmer, mademoiselle de RocheLalheue. Vous avez subi de rudes chocs, et je tâcherai de vous importuner le moins possible. Mais... il y a les nécessités de l'enquête. Vous ne pourrez pas y échapper.

Marie ne répliqua pas. Elle avait senti, au ton de la voix de l'officier, qu'il irait jusqu'au bout.

Devait-elle s'en réjouir ou s'en alarmer?...